Verbe Complement Sujet
Rappel: La voie des armes est un mode d’apprentissage qui se base sur l’expérience physique et émotionnelle, sur une forte implication des sensations et des images et une implication minime de l’intellect. La mise en place de concepts dans ce blog intervient simplement pour donner des idées de recherche dans la pratique. Voici quelques conseils et idées pour accélérer l’apprentissage et la maîtrise des techniques de combat.
Les Domaines de Pratique
Le conseil numero uno est de travailler sur les différentes séquences d’expérience à notre disposition. Quel que soit l’art martial, le sport ou l’activité humaine en question, nous ne pouvons pas aller bien loin, ni bien profond si nous nous cantonnons à une seule approche, un seul vécu. Par exemple un « compétiteur de karate » qui ne fait que de l’entrainement pour la competition de karate dans sa catégorie de combat et selon les « règles du jeux » de SA fédération, limite bien entendu sa connaissance globale du karate. Mais il limite aussi sa capacité de progrès et sa vitesse d’evolution dans son cadre très specific de compétiteur. Cela veut dire que si ce compétiteur decide d’élargir sa palette de karatéka avec des expériences connexes, il devient meilleur et meilleur plus vite que s’il se contente d’intensifier uniquement ses entraînements.
Cette démarche consiste à intégrer plusieurs aspects de la discipline tel que la pratique, l’entraînement, la préparation physique et mentale, l’apprentissage, le perfectionnement, l’enseignement, la reflexion et la visualisation globale et de pratiquer tout cela en alternance. On ne progresse pas pendant la pratique mais entre les sessions, idem des muscles, des reflexes et des stratégies. Il est bien entendu indispensable d’individualiser cette démarche en équilibrant en fonction des forces et faiblesses et des objectifs individuels.
Passer d’un domaine à un autre présente une série d’avantages non négligeable:
- on se confronte à des situations différentes et de rôles différents
- on s’habitue à la polyvalence et l‘inconfort
- ce qui élargit son champs de connaissance
- et permet des remises en question fréquentes
- et augmente la capacité d’apprentissage
- on s’approprie et on individualise la pratique
- en passant de la technique aux éléments puis les fondamentaux puis aux concepts
- ce qui permet d’aller à l’essentiel, à ce qui marche uniquement
- ce qui fait gagner en vitesse d’apprentissage
- cela permet de gagner en liberté et spontanéité
- ce qui accélère l’action intuitive et la lecture
- pour optimiser la technique et la stratégie
- On séquence la progression dans le temps mais aussi dans le contenu
- Ce qui apporte le temps nécessaire à l’integration
- et la digestion des progrès pendant le temps de repos relatifs de chaque domaine
- cela permet aussi une récupération physique et mentale
- tout en intensifiant les occasions de pratique
- et cela met le pratiquant dans une perspective d’evolution et d’integration des domaines connexes
- ce qui renforce sa reconnaissance par les autres
- avec une consequence positive sur la motivation
- et lui donne plus d’énergie pour se remettre en question
- et se confronte à des situation d’apprentissage nouvelles
- … et on repart pour un tour, cette fois plus vaste ou plus intense ou plus précis… en fonction des objectifs individuels
Ce n’est pas plus complexe à organiser car les benefices sont des conséquences en cascade. Cela demande simplement un suivit précis et une pratique individualisée avec un travail de coaching du maitre.
Domaines Dhabitude
Chaque élément constitue un Domaine d’Habitudes (DH) particulier qui renforce les autres domaines connexes. Il passera donc moins de temps et d’effort à simplement « s’entrainer » mais travaillera en profondeur sous d’autres angles d’approche. Il lui suffit de garder clairement en tête son objectif qui est de devenir champion du monde de karate quelque soit le DH particulier qu’il développe pour commencer à créer une dynamique de renforcement des competences connexes, ce qui permet de renforcer plus vite ses compétences de base. La démarche permet d’accumuler des opportunités de liberté de création et de remise en cause. A premiere vue, cette approche est potentiellement chaotique. Est-ce inquiétant?
L’ordre dans lequel on articule ces domaines d’expériences est une séquence. Jusque là, rien de bien nouveau me direz-vous. « Traditionnellement » les écoles d’arts martiaux sont très hiérarchisées, avec toutes les errances kafkaïenne que l’ordre établi se plait à concocter; administrative, filiale, économiques, financières, ego-centristes et centrique. Bref, le résultat est l’établissement d’un ordre chronologique stricte de ces séquences de manière à figer l’évolution de l’école d’art pour mieux la maitriser et la controller ou la protéger. Au-delà de tout machiavélisme pourtant existant, cela vient d’une peur névrotique du désordre et du chaos.
Or le combat c’est justement le chaos et comment le gérer!
Au nom de la preservation de la tradition, certains préfèrent-ils se noyer plutôt que de nager n’importe comment?!! Enfin … que l’élève se noie plutôt qu’il ne nage n’importe comment? Alors on met tout le monde en ligne devant un miroir et on «investit » ce temps précieux à bien vérifier que tout soit en ordre. Miroir, miroir… qui est la plus belle?
La voix des maîtres de vie
L’ordre habituel des sequences consiste à:
- Apprendre…grâce au maître
- Pratiquer… sous la férule du maître
- Perfectionner sa technique… dans l’ombre ou le sillage du maître
- Enseigner… la technique du maître… pour continuer le maître ou remplacer le maître
Ok, certes en ce qui concerne le maitre, je suis un peu excessif. En vérité, je tente de rester critique et positif. J’imagine que si vous ne me connaissez pas, vous risquez de penser que je suis opposé à la notion de maitre et au respect de règles? Bien au contraire, je suis extrêmement attaché aux valeurs des arts martiaux telles que le respect et la fidélité. Je reste un farouche défenseur de la tradition, des valeurs de respect envers les anciens et les maitres fondateurs mais surtout envers les chercheurs de vérité et les hommes libres. Par contre, il est primordiale de savoir identifier les usurpateurs , les tricheurs et les escrocs, les profiteurs et les malveillants. C’est le devoir d’un guerrier de la lumière de balayer les ombres pour laisser les hommes de bonne volonté s’épanouir au grand jour.
La notion de « droit », souvent mise à toutes les sauces, s’accompagne d’un coût à payer qui est le « devoir ». Le monde des arts martiaux n’est pas le monde « civil ». Pratiquer les arts martiaux ce n’est pas participer à un session de fitness. Beaucoup ont une forte conscience de leurs droits de faire, de dire de penser, d’avoir, d’obtenir, mais oublient que nous sommes tout d’abord redevables. Accepter l’enseignement d’un art martial c’est aussi en accepter le prix qui dépasse très largement les cotisations.
J’ai eu la chance et le talent de travailler pendant de longues périodes avec plusieurs maitres exceptionnels. Ils sont devenu mon niveau de référence et lorsque je vois un « salisseur de mémoire » appauvrir en quelques années une école d’art martiaux qui a été construite sur des centaines d’année et beaucoup de souffrance, je dois me rebeller. Je dois aussi hurler au loup lorsque je vois une école s’endormir dans une tradition stérile au nom de la « tradition » sans en conserver l’essence et confondre le fond et la forme, le contenant et le contenu. Je me dois de hurler à la mort lorsque l’on denature l’art du combat en lui faisant perdre sa fonction. Réalisme et efficacité sont les gardiens de la technique juste. Photo: Chevalier Jean D’Orgeix, mon maitre en apprentissage universel
Les grands maîtres sont au-dessus des trivialités car ils ont transcendé leur ego encore et encore. Ce sont avant tout des chercheurs de vérité, suffisamment humbles pour ne rien revendiquer, suffisamment forts pour ne pas avoir besoin de justifier. Le pouvoir est rarement aux mains de ces maitres de vie, car ils s’en détachent avec facilité pour pouvoir se concentrer sur la quête et la recherche, la pratique et le partage. Au travers des siècles et des continents, chaque chercheur de vérité partage ces valeurs universelles qui forcent l’emotion et le respect immédiat lorsqu’on les entrevoit. Sensei Rolland Hernaez est un de ces chercheurs de vérité, aussi profondément brillant que humble, discret et efficace. Mochizuki Minoru Shihan était un exemple merveilleux de modernisme et d’ouverture, capable de relier la tradition martiale et la modernité; La technique juste et sa déclinaison dans le comportement.
Dans un tout autre style, Grand Master Jose Mena était ce trublion intenable qui savait manier la gentillesse et l’extrême sauvagerie dans la même phrase martial sans jamais de séparer de sa gouaille légendaire. C’est pour rencontrer des gens comme ca que les arts martiaux valent d’être vécus. Photo: Grand Master Mena avec Keanu, Arka
Revenons donc à notre séquence et semence habituel qui consiste à apprendre/ pratiquer/ perfectionner/ enseigner. Dans la plupart des cas, il s’agit de ne passer à l’étape suivante que lorsque la permission nous en est donné ou lorsque nous nous rebellons contre l’ordre établie, ce qui n’est pas l’approche la plus positive. Cet ordre figé des séquences est le résultat de la peur du chaos et mise tout sur la sécurité et la continuité mais présente plusieurs inconvénients majeurs aussi bien pour l’apprenti que pour le maître et pour l’école. Inutile de faire la liste des problèmes; passons à autre chose.
Analogies du verbe aux armes
Il est souvent plus evident de saisir une idée hors de son context. Permettez-moi donc ce détour.
« O nuit désastreuse! ô nuit effroyable! où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte » !
Remplaçons maintenant ce désordre apparent par cette construction purement grammaticale :
« La nuit où cette nouvelle étonnante : Madame se meurt, Madame est morte, retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre, fut une nuit désastreuse, une nuit effroyable » ;
Grammaticalement correcte mais … Quid de la pensée et du sentiment? Où est la chaleur et l’émotion?
« Le côté obscur de la Force, redouter tu dois »
Yoda construit ses phrases dans un ordre different: Complement circonstanciel / verbe d’action / sujet.
Est-ce que cela induit un sens différent au niveau de notre représentation de la réalité exprimée dans cette communication? Le maître Jedi est-il en train de signifier sa singularité au service de son enseignement? Utilises-t-il une séquence spécifique pour instiller l’ordre d’importance des éléments de la réalité que son apprenti doit appréhender?
Des éléments de réponse, le jedi donne!
La plupart des langues indo-européennes modernes sont basées sur une séquence sujet / verbe d’action / complement circonstanciel et le sens y est fortement marqué par la syntax et l’ordre des séquences. Les études en anthropologie linguistique montre que de nombreuses langues « fondatrices » sont basées sur des séquences libres. L’ordre des mots dans la phrase sert essentiellement à exprimer l’ordre des idées. Dans les langues anciennes, comme le grec et le latin où la forme des mots exprimait leur fonction grammaticale, l’ordre dans lequel ils se suivaient ne pouvait exprimer que l’ordre des idées.
Ainsi, au lieu de dire : « On obtenait tout de lui avec le mot de gloire », Voltaire dit plus vivement : « Avec le mot de gloire on obtenait tout de lui »; au lieu de : « Stanislas était perdu s’il demeurait », il dit : « Si Stanislas demeurait, il était perdu-»; mettant le conséquent avant l’antécédent le subordonné avant le principal.
Tel le verbe, la phrase martial et la sequence d’apprentissage peuvent-être manipulés et ordonnés librement afin de gagner en intensité. Comme toute expression du génie humain, la voie des armes (budo) est à la fois un langage et un outil. Comme dans les analogies ci-dessus, nous avons à notre disposition plusieurs séquences possibles qui, avec liberté permettent d’élargir le champs des possibles. Les langues anciennes sont souvent libre alors que les langues modernes se sont structuré et doivent suivre les lois grammatical, la syntaxe. De la même façon, l’art martial en se structurant, a développé ses lois et sa syntaxe. Déstructurer l’apprentissage et la pratique permet de regagner la liberté et son pendant; l’adaptabilité intuitive, qui est la base de la fluidité des techniques; le flot des attaques et défense en Arnis.
Sophistication ou Optimisation
Après les versets sataniques, explorons les séquences chaotiques qui sont un peu du même ressort. Au lieu d’apprendre / pratiquer / perfectionner puis enseigner, il est plus efficace et plus riche de changer l’ordre classique des roles que nous jouons. Ainsi, j’encourage à Pratiquer, enseigner, perfectionner puis apprendre. Attention, je fais référence à un enseignement dans la pratique et par la pratique qui se rapproche du partage implicite et chaotique.
Il en est de l’art du combat comme de l’evolution des espèces; du besoin de survivre et de l’expérience né la fonction. Les griffes deviennent rétractiles ou semi-rétractiles en fonction des nécessitées spécifiques de survie d’une espèce. L’homme évolue plus vite car son cerveau lui permet de faire évoluer les outils au lieu d’attendre que les « griffes poussent ». Petit à petit l’oiseau faisant son nid; la technique de combat devenant socialement plus sophistiquée génère la justification de ses propres codes d’action. Née de la nécessité de survivre, construite sur l’accumulation d’erreurs puis validée par un augmentation relative de succès, l’art du combat doit en permanence évoluer pour rester efficace car la réalité du combat évolue constamment. Photo: Manuscrit de Darwin sur l’evolution d’une espèce botanique.
Il existe une tendance qui pousse les écoles d’arts martiaux à se sophistiquer au-delà de l’optimum ou à se réfugier dans une tradition qui s’éloigne de la réalité du combat. Ou est-ce plutôt la réalité qui s’éloigne? S’installer dans un ordre figée est la promesse de rendre la technique de combat complètement obsolète car la réalité de l’instant du combat c’est la gestion du chaos. Apprendre à maitriser une réalité connue et prévisible n’a aucune chance de m’aider à gérer la réalité chaotique du combat. Encore une fois, il en est de la poésie comme du budo, ce n’est pas pour rien que la voie des armes est décrite comme la double voie des armes et des lettres.
« A l’école de la poésie, on n’apprends pas, on se bat! »
Bernard Lavilliers, La marge
La sequence et sa flexibilité vient à mon secour. Apprendre dans le désordre, c’est prendre avec soi l’ordre et l’ordre de l’univers et refuser l’ordre que me donne l’adversaire ou l’adversité. C’est avec soi son destin le prendre. De la même façon, je peux destructurer et restructurer les séquences de mon apprentissage et sa réalité pour mieux les digérer; dis gérer. Plus je progresse dans ma capacité d’apprentissage, plus vite je progresse dans l’art que je veux maitriser, au point qu’il devient plus efficace de se concentrer sur l’apprentissage lui-même plutôt que sur la maîtrise de l’art martial. Maitriser l’apprentissage c’est intégrer une fonction exponentiel et changer de registre totalement.
Les Séquences Chaotiques
Si la sequence traditionnelle figée correspond à un ordre social de certitude, les séquences libres se régalent dans la créativité. Il n’y a pas de recette du succès car chacun doit s’approprier sa pratique. Voici un aperçu des relations de causalité d’un enchaînement de séquences libres.
- Pratiquer avant toute chose: Faire. Comment pratiquer quelque chose que l’on a pas appris? En s’appuyant sur nos autres domaines de compétence et en observant attentivement. Il faut apprendre à pratiquer sans connaître. Cela fait parti du « savoir apprendre » et cela demande de la spontanéité et une memoire visuelle bien développée.
- Enseigner et partager immédiatement ce que l’on vient de pratiquer permet de graver la sensation et de découvrir des éléments fondamentaux et des incohérences dans notre technique. Enseigner a un copain, à ses enfants ou à d’autres pratiquants dans un climat de recherche. Il ne s’agit pas de prétendre savoir, mais de partager ce que l’on a compris, meme si on partage des fausses notes.
- Perfectionner devient beaucoup plus facile et concret lorsqu’on a identifié les faiblesses de notre pratique, mises en evidence au module précédent. Apprendre consiste à prendre-avec-soi. Dans cette optique il est primordiale de ne prendre avec soi QUE des éléments deja épurés des composants inutiles et des imperfections. C’est à ce stade que nous effaçons les erreurs de base.
- Maintenant nous sommes prêt à prendre avec soi: apprendre.
- L’étape suivante consiste à enchainer de nouveau avec la sequence 1 et pratiquer plus intensément pour creuser le sillon plus profondément, aller plus vite, augmenter l’intensité et l’incertitude, la complexité et le niveau de chaos.
Cette séquence libre me semble plus dynamique. Apprendre de cette façon permet de découper l’art du combat en petits morceaux plus facilement assimilables. Cal veut dire aussi que chaque pratiquant est intégré à la vie et l’évolution de l’art martial dès le debut de son apprentissage, ce qui est beaucoup plus motivant. Cela marche pour moi et je l’applique aux arts martiaux et à tous les autres domaines de la vie sans suivre un ordre établi. Je vous encourage à experimenter pour vous-même.
Bonne recherche,