Cahier Technique (1)
Arme : Simple baston Vs Simple baston
Thème : Adaptation aux différentes distances dans le combat
Suite à nos stages, je demande souvent aux instructeurs présents de réaliser des cahiers techniques afin de garder une trace de nos échanges sur l’aire de travail et l’air du travail. Le texte est de Guro Sylvain Garcia et les commentaires en italique de Master Dani Faynot.
Guro Sylvain Garcia est 3 dan FFKDA, professeur de Karate Do, Professeur diplômé d’état, DEJEPS Perfectionnement sportif, 3 degré Arnis Kali, Instructeur World Arnis Doblete Rapilon.
DF : Je garde le texte initial de Sylvain car cela permet une conversation et deux perspectives différentes ; L’une peut-être parfois plus civilisée que l’autre… pas toujours celle à laquelle vous pensez mon cher Stephen.
Comme toujours, les photos sont trompeuses car statiques et « clean ». Les distances c’est avant tout le désordre, le chaos et le mouvement, le déséquilibre et les prises d’équilibre: C’est le domaine du funambule et du surfeur …et parfois d’un arnisador qui sort de sa cage et accepte la liberté de créer dans le désordre pour combattre dans l’instant.
L’arme et le contexte
DF : Le bâton simple est la première arme que l’on étudie et elle doit être toujours considéré comme une arme spécifique à part entière. Les blocages avec un bâton sont fondamentalement différents de ceux et ce que l’on peut faire avec une machette ou une épée. Il en est de même des attaques qui sont des « frappes et des coups» alors qu’il s’agit de « coupes et d’estoques » pour une machette. Il est primordial, par exemple, de ne pas « glisser » avec un bâton comme on peut le faire avec une lame tranchante. Le bâton est une arme redoutable ; Il ne s’agit pas de « faire comme si c’était une machette ».
DF : Distance de combat = Distance théorique pour mettre en place des notions de base. C’est ce que l’on va étudier lors d’un sinawali ou par exemple un enchaînement « de salon » et dans la plupart des enchaînements codifiés ; « les fameux drills » qui ont tant de succès. C’est utile au débutant de la première heure mais complètement irréaliste dans le combat.
Distances dans le combat = Distances relatives dans un environnement chaotique où la distance (espace) devient intimement liée à la vitesse (espace-temps). La distance de combat réelle est la capacité à toucher l’adversaire sur une attaque ou à appliquer une défense alors que les combattants sont en mouvement. Il est donc évident que chaque protagoniste, au même instant, se trouve dans sa propre distance. A cela, il faut rajouter la taille des combattants, leur allonge respective et la prédominance des angles de chaque combattant. La distance de frappe d’un upercute est différente d’un angle horizontal sortant ou rentrant. Dans ce cadre, nous sommes éminemment dans un environnement chaotique, très loin de l’environnement stable et pasteurisé mis en scène dans une pratique de base. Ce type de distance demande une lecture constante, des adaptations et des ajustements permanents. C’est dans ce contexte que l’on peut bâtir une vraie compétence de combat et sortir de la chorégraphie.
Formes de base et pratiques avancées
L’Arnis de GM Jose Mena, le Doblete Rapilon, fait partie de l’université des arts martiaux philippins. C’est un art martial au sens étymologique du terme, un art guerrier. Aux Philippines, les styles traditionnels sont totalement axés sur le combat. Ce sont des systèmes plus longs à maitriser car ils incorporent des dimensions du combat plus structurés et plus subtile. Ces systèmes sont souvent plus dures a intégrer et la notion de violence, le danger et les conséquences sont omniprésentes; cela demande un engagement fort et une maitrise émotionnelle importante. Les styles modernes ont été édulcorés pour permettre l’apprentissage dans les écoles primaires (Modern Arnis) ou pour une pratique sportive ou de loisir. Pour un club, le but est de construire un groupe le plus large possible afin de dynamiser la pratique, d’avoir plus d’élèves et souvent de developper une activité la plus rentable possible financièrement. Pour cela, certains sont enclin à des concessions tout à fait légitimes. Les formes traditionnelles ne sont pas toujours adaptées à cela car trop sélectives.
DF : Cette expression « université des FMA » nous vient de Grand Master Mena. La plupart des styles de combat personnels des grands maitres Philippins sont des formes avancés par rapport aux styles de base que l’on peut étudier au début de l’apprentissage. Lorsque je parle de « Grands maitres » je fais référence aux Grands Master reconnus par leurs pairs, de la génération des GM Lema, GM Illustrissimo, GM Mena, GM Leo Gaje … Il existe un document officiel qui liste très précisément ceux que ces maîtres illustres considéraient comme leurs égaux. J’en ai une copie :>).
DF : Ces Grands Masters avaient tous développé une forme personnelle très avancée qui incorporait la maîtrise parfaite des autres styles. Lorsque j’ai commencé mon apprentissage avec GM Mena, je suis passé par l’étude des styles de base : Cinco tiros, larga mano, De Campo, De salon, corto, serrada, doce pares … et en parallèle une étude spécifique de chaque arme. L’arme et le style de combat déterminent alors les distances dans le combat. Cette première phase correspondrait à un enseignement général du type « Baccalaureat ». Ensuite vient l’université avec ses spécialisations et ses différents niveaux de compétence.
En tant que tel, il n’est pas possible de faire l’impasse sur une quelconque forme de combat.
DF : Le Doblete Rapilon ou le Kali Illustrissimo correspondent à ce niveau d’étude car ils sont focalisés sur le combat où la seule échelle de mesure est l’efficacité. Les pratiques de base se cantonnent souvent à une distance théorique. Les instructeurs de base de chaque systèmes se querellent régulièrement pour défendre qui de qui est le plus efficace, ou s’ignorent car persuadé que de toute façon seul leur système est dans le vrai. Cette discussion n’a aucun sens et la réponse arrive à point, à qui sait se mettre à l’épreuve du combat. Il faut évidement maîtriser toutes les distances et surtout être capable de lire, attaquer et bloquer ce qui arrive, tout simplement.
D’où la nécessité d’explorer, d’étudier, de décortiquer et de s’approprier les styles de combats qu’il est possible de rencontrer pour limiter au maximum un effet de surprise qui pourrait être dévastateur pour celui qui subirait un assaut. Assaut qui serait dévastateur ou mortel en cas de réel conflit. Même si peu probable dans notre environnement quotidien.
DF : … L’environnement quotidien peut rapidement dégénérer et la guerre et la violence ne sont pas toujours pour les autres me semble-t-il.
Peut-on vraiment choisir sa distance ?
DF : … peut-on vraiment choisir ses distances ?
Dans le cadre de ces apprentissages, il est indispensable d’étudier les différentes distances de combat en simple baston contre simple bâton avant de passer à d’autres armes ; bâton contre poignard par exemple. Les variations de distances sont inévitables dans un combat et nous devons simplifier le context pour emmagasiner des expériences positives afin de construire notre capacité de combattant.
DF : et on ne peut se contenter d’étudier uniquement serrada en espérant amener son adversaire à chaque fois dans sa distance de prédilection. Le concept de distances dynamiques permet d’appréhender les variations causées par les deux (ou plus) adversaires + le chaos inhérent.
Dans un espace ouvert avec aucun obstacle, les coups peuvent être lâchés sans retenue (arnis del campos ou larga mano e.g.). A contrario, dans un espace clos ou réduit ou proche de l’adversaire, les gestes seront eux aussi plus réduits, plus courts, et la mobilité des combats devra s’adapter à l’environnement (Arnis de salon par exemple). Dans tous les cas, l’efficacité, elle, doit être constante.
DF : Attention « arnis de salon » doit rester une image qui aide à structurer un type de pratique. La dichotomie entre Arnis de salon Vs de campo n’existe que l’un par rapport à l’autre. Il s’agit d’une tendance générale relative, surtout au Philippines où la vie sociale se faisait essentiellement en extérieur et les combats aussi. Point de « palace » comme en chine ou de maison à plafond bas pour limiter l’utilisation du katana comme au japon médiéval, ce qui engendre une forme spécifique de combat en milieu cloisonné.
Il faut prendre en compte la mobilité des combattants les uns par rapport aux autres, en un contre un, ou deux groupes qui s’affrontent. Avec la volonté d’en finir ou sous la pression, l’un des combattants voudra prendre l’ascendant et cassera la distance afin de mettre un terme au combat ; Passant d’une distance longue à une distance moyenne/courte, puis courte, voir au corps à corps.
DF : La signature d’un style de combat ou d’une école est déterminée par ses parti-pris et sa stratégie de combat. La distance, elle, ne peut en aucun cas être sous control unilatéral d’un seul combattant… sauf si… ils combattent dans le même style ; deux combattants de serada, deux protagoniste de modern arnis… Dans ce cas, le combat est très simple car il n’y a qu’une seule dimension à gérer et peu d’incertitude. Plus le niveau monte et plus la différence ce fait sur la lecture. Ne pratiquer qu’en vase clôt avec de gens qui partagent les mêmes vérités, qui ont les mêmes stratégies et les mêmes formes de corps est une voie sans issue. Conformable, certainement gratifiante mais sans issue.
C’est pour cette raison qu’il est indispensable de connaitre plusieurs styles dans la même famille martiale (eg: plusieurs systèmes de FMA) mais aussi d’autres arts de combat aussi différents que le Muay Thai et l’aikido ou le Taiji Quan. Des formes rondes et linéaires, des concepts de force et de souplesse… Attention quand même à ne pas perdre trop de temps avec certains systèmes sans consistance… dont la liste est disponible chez votre docteur martial.
Variations et Improvisation
Il est impératif de travailler les variations de distance dans le combat afin de ne pas les subir, avec comme objectif de prendre le contrôle à son compte.
DF : … Ou de laisser le control et contrer. C’est un choix stratégique et parfois une nécessité en relation avec les forces en présence. Si votre adversaire est plus fort ou plus agressif, il vaut mieux bouger, ouvrir des angles et contrer.
A l’évidence, les FMA sont des arts de combat où le mouvement et les déplacements sont primordiaux et incessants ; à la fois pour perturber l’adversaire et pour s’offrir le plus d’angles d’attaques possibles. Une cible statique est de toute évidence bien plus facile à atteindre et rester figé devant son adversaire n’ouvre aucun angle d’attaque. De plus, le manque de mobilité n’engendre pas assez d’ouverture pour votre adversaire sur lesquelles contrer.
DF : Il y a un effet de mimétisme dans la combat et le mouvement permet aussi d’agir sur la programmation visuelle.
La gestion du rythme et des tempos, des cadences et des vitesses permet de contrôler le combat à distance. Ne pas se cantonner à un rythme régulier, binaire avec un tempo monotone. Ne pas chercher la riposte dès la première attaque mais plutôt s’enraciner quelques instants dans le rythme du combat pour sentir et tenter de lire votre adversaire sur quelques échanges. Un rythme ternaire peut être bien meilleur. E.g. (1) déflection, (2) prise d’espace frappe rapide, (3) puis frappe lourde.
DF: Une notion de combat traditionelle aux PH est « capturer l’esprit » .
DF : L’art du combat est très similaire à la musique car il s’agit d’un acte fondateur qui puise son essence au plus profond de nous. Etre en osmose avec l’univers n’est pas une image poétique mais une expérience bien réelle qui fait souvent la différence entre celui qui reste debout et l’autre. Il est possible d’étudier le combat comme la musique et de l’écrire sous forme de solfège. Ce sujet mérite un blog spécifique à venir.
A l’instar de ce que l’on peut voir dans un match de boxe. Un enchaînement doit être assez riche et varié afin que l’adversaire ne puisse pas prendre votre mesure trop facilement. Il doit être maintenu en permanence sur le reculoir pour le priver de temps et d’espaces et faire en sorte qu’il lui soit difficile de confortablement appliquer sa stratégie. L’adversaire doit être bousculé et harcelé constamment.
DF : La boxe anglaise est certainement la forme la plus aboutie de gestion des tempos et temporalités, des rythmes et des cadences. Elle propose, comme la musique des crescendo, des moderatos… et des super ko’s.
A suivre sur le cahier technique (2)